LES HORLOGES D’AMOUR
je t’aime
LES HORLOGES D’AMOUR
je t’aime
Horloge d’amour (récapitulation d’une semaine)
Série de 250 dessins de toutes tailles
Encres sur sur sacs d’emballage en papier goudronné de couleur kraft.
Conversation autour des dessins de Titi Parant
Par Michel Butor et Michel Sicard
-Michel Sicard : Que s'est-il passé avant ces dessins avec leur texte perpétuel : « Je t'aime, je t'aime, je t'aime… » ? N'a-t-elle pas commencé par les bonshommes en plâtre, c'est-à-dire la sculpture ?
-Michel Butor : A Sainte-Geneviève-des-Bois elle dessinait déjà, toujours des bonshommes. Après, elle a fait des sculptures. Et quand ils ont trouvé cette réserve de papier - ces sacs jouent un rôle décisif : ils ont trouvé une réserve de vieux sacs - elle s'est mise à faire ces dessins là.
-Michel Sicard : Peut-on distinguer des périodes différentes dans son travail ?
-Michel Butor : Il y a les dessins d'avant les sculptures; les sculptures; et les dessins d'à partir du moment où elle a trouvé ce matériau.
- Michel Sicard : Initialement, deux choses étaient séparées : l'écriture avec ses cahiers de « je t'aime » et le dessin avec ses bonshommes ; et cela s'est superposé.
Horloge d'amour
Aux mille lieux des yeux
Série de 50 dessins au carbone et pastel sur papier bristol, 21 x 30 cm
- Michel Butor : Autour du « je t'aime », il y a des variations. De plus en plus de choses viennent s'ajouter : le lieu des baisers… Dans ces grands dessins-collages (montrant un dessin de Titi) il y a toutes sortes de choses :
il est 10 h 40 je t'aime et je pense à toi
de 10 h 40 à 13 h 05 je pense à toi
il est 13 h 05 tu écris dans la cuisine je pense à toi
de 13 h 05 à 20 h je pense à toi
il est 22 h 15 tu relis un texte à côté de moi
il est 23 h 05 je me couche je t'attends tu lis je pense à toi, etc.
- Michel Sicard : On a des matériaux très simples, dans une économie maximale de moyens… Les matériaux qu'elle emploie ne sont pas d'un usage courant.
- Michel Butor : Avec des résultats toujours variés ! Celle-là (montrant une page de Titi), je l'aime particulièrement : avec ces motifs imprimés, elle est vraiment superbe, il y a un dessin qui reste très simple : elle fait des bonshommes. A partir de cette figure fondamentale du bonhomme, elle fait des choses qui deviennent tout à fait savantes.
- M.S : Comment se développe le phénomène de la variation ?
- M.B : A l'intérieur de chacune des œuvres, il y a un système de variations très riche ; et ensuite, la série de ses œuvres forme une variation.
- M.S : Les couleurs aussi entrent dans la variation et se modulent infiniment…
- M.B : Il s'agit toujours de trouver quelque chose de neuf à partir de mêmes éléments, en ajoutant un tout petit quelque chose, en découvrant un nouveau déplacement qui produit quelque chose de tout à fait différent.
- M.S : Les paroles, métaphoriques de ce qui se passe dans le traitement de l'espace et du papier, renforcent cela : deux ou trois verbes fondamentaux suffisent à…
- M.B : Ils sont répétés et changent d'aspects, de couleurs, à cause de la façon précise dont ils sont situés les uns par rapport aux autres et par rapport à la figure générale qui est une figure de visage ou une figure de corps.
Placoplâtre, crayon, encre, pastel, acrylique, 30 x 24 cm.
- M.S : Quels effets produisent ces paroles minimales, la répétition massive des mêmes éléments ?
- M.B : Cela attire l'attention sur ces éléments et fait qu'on les voit autrement qu'on ne les voit d'habitude.
Toi-Moi
Fusain et pastel sur toile, 100 x 81 cm
Topographies d'horloges en triptyques
Série de 36 toiles
Fusain et acrylique sur toiles 24 x 19 cm
Toi-Moi, fusain sur toile, 130 x 97cm
- M.S : L'anecdote s'amincit lorsqu'on glisse vers le quotidien. La répétition de gestes insignifiants n'a-t-elle pas pour résultat de détruire le sujet qui était le support traditionnel des représentations picturales ou graphiques ?
- M.B : On ne peut pas dire que ces gestes soient insignifiants : ils sont au contraire très riches de significations.
- M.S : Si l'on part des normes artistiques en fonction, ça apparaît comme insignifiant ou même dérisoire.
- M.B : Oui, ils sont considérés comme insignifiants… Mais à bien des époques, l'art a repris ce qui était considéré comme insignifiant, dérisoire, pour montrer que ça ne l'était pas.
- M.S : Parlons des horloges d'amour : c'est souligner le problème du temps, temps cyclique des heures, jours et semaines revenant identiquement.
- M.B : Il y a en fait deux temps : le temps de l'horloge et le temps des astres. Il y a dans tout ça un caractère très musical. Ces journées forment une mesure, une mesure plastique qui est en même temps une mesure chronologique : à l'intérieur de celle-ci il y a des choses qui reviennent et il y a des choses qui se déplacent.
- M.S : Pourquoi revenir à ces éléments traditionnels que sont les sept jours de la semaine ?
- M.B : C'est traditionnel, mais c'est très présent, très actuel. Nous fonctionnons tous avec ces mesures-là. C'est très utile de les rappeler.
A l’horizontal, dessins tableaux noirs
Une semaine
Fusain sur toile, 73 x 60 cm chaque
- M.S : Ça fait un carnet de bord assez gigantesque !
- M.B : Vous avez une très bonne expression avec « carnet de bord », c'est comme une espèce de navigation.
Film :
Une minute dans l’atelier de Titi Parant
- M.S : Cela révèle des structures inconscientes qui apparaissent non seulement de façon discursive, mais dans leurs propriétés plastiques elles-mêmes.
- M.B : C'est vraiment plein de choses !
- M.S : Dans le processus d'ensemble, ne dépassons-nous pas l'opposition entre variété et non-variété, multiplicité et unité comme celle que vous évoquez parfois à propos de la séduction, entre fidélité et infidélité ? La chasse aux détails et aux moments clos devient périple, ramène à un centre.
- M.B : Oui, elle dépasse l'opposition fidélité/infidélité et l'opposition un/multiple. Mais l'opposition un/multiple est, de toute façon, une opposition abstraite. C'est de la philosophie classique ! Nous partons tous de la philosophie classique ; mais nous en partons : nous sommes ailleurs.
- M.S : Quel serait le rapport — inverse ? — entre les mots dans leur pauvreté itérative et la variété infinie des situations, topographies, affects qui s'engendrent ?
- M.B : Ce sont deux aspects complémentaires : lorsqu'on se limite d'un côté, on est en quelque sorte obligé d'avoir plus d'invention par ailleurs. Evidemment, ces éléments en nombre limité ne vous donnent cette possibilité d'invention que lorsqu'ils vous passionnent suffisamment, qu'ils provoquent chez vous une activité qui va trouver de nouvelles issues.
Je t’aime
Terre crue, terre cuite 24 x 30 cm
Lundi
Vendredi
Michel Butor et Michel Sicard
Extrait de l'entretien publié dans la revue Obliques, La Femme Surréaliste, réédité dans le livre Les Horloges d'amour, Editions de la Différence
Je t’aime au fusain, série de 12, papier 27 x 21cm
100 Horloges
Pastel sur papier, 30 x 24 cm.
Je t’aime